Focus : Les Adieux de René à sa sœur représente un extrait du roman René de Chateaubriand. Découvrez l'histoire de l'œuvre et du lien entre son auteur, Lancelot-Théodor Turpin de Crissé et Chateaubriand.


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Turpin de Crissé Lancelot-Théodore, Les Adieux de René à sa sœur, Huile sur toile, Salon de 1806  

Amélie

« [...] les murs sombres du monastère se perdent confusément dans les cieux. Une petite lumière paraissait à la fenêtre grillée. Était-ce toi, ô mon Amélie, qui prosternée au pied du crucifix, priait le Dieu des orages d’épargner ton malheureux frère ? »
L’église se fond dans la roche pour se dresser vers le ciel, tel un rempart face aux sentiments d’Amélie pour son frère. Le seul point lumineux au sein de la masse rocheuse suggère la présence d’Amélie retirée au couvent. Elle incarne la paix de l’âme retrouvée, et contraste ainsi avec le personnage de René en contre-bas.

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La mer

« D’un côté s’étendent les vagues étincelantes, de l’autre les murs sombres du monastère se perdent confusément dans les cieux. »
Turpin de Crissé peint une mer en accord avec le texte de François de Chateaubriand. Les « vagues étincelantes » lui donnent l’occasion de travailler la lumière et les reflets causés par la lune. Cette volonté de réalisme encourage l’observateur à imaginer les sons que produit le tableau : « l’on n’entendait que le rugissement des flots », « le bruit des vents », « les coups de canon d’alarme, mêlés au glas de la cloche monastique ».

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L'église

« La tempête sur les flots, le calme dans ta retraite ; des hommes brisés sur des écueils au pied de l’asile que rien ne peut troubler, l’infini de l’autre côté du mur d’une cellule, les fanaux agités des vaisseaux, le phare immobile du couvent [...] »
Bien que Turpin suive scrupuleusement le texte de François de Chateaubriand, il s’accorde une fantaisie. Tandis que l’auteur évoque un monastère, le peintre représente une église aux allures de cathédrale. Celle-ci, dans un style gothique troubadour, est une vision fantaisiste du Moyen Âge très en vogue au XIXe siècle.
Symbole de la chrétienté, l’auteur la compare à un phare, c’est-à-dire à un repère pour les âmes tourmentées. Turpin de Crissé représente un monastère très imposant qui agit comme une barrière contre l’agitation extérieure, et donc propice au recueillement et à la méditation.

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Un soir de pleine lune

« […] déjà plusieurs vaisseaux avaient appareillé au baisser du soleil ; je m’étais arrangé pour passer la dernière nuit à terre, afin d’écrire ma lettre d’adieux à Amélie. »
L’action se situe un soir de pleine lune. Celle-ci est un élément couramment utilisé dans la peinture romantique. Symbole de tristesse mélancolique, elle évoque ici la séparation de René et Amélie. Sa présence montre que Turpin est familier de ce courant artistique.
L’aspect tragique est accentué par l’effet de nuit. Le décor, plongé dans la pénombre, témoigne d’une grande intensité, avec un ciel chargé de nuages. La lune apparaît alors comme une lueur, indiquant à René la direction à prendre pour se rendre aux Amériques.

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Le bateau

« [...] écho du rivage américain qui répétez les accents de René, ce fut le lendemain de cette nuit terrible, qu’appuyé sur le gaillard de mon vaisseau, je vis s’éloigner pour jamais ma terre natale ! Je contemplai longtemps sur la côte les derniers balancements des arbres de la patrie, et les faîtes du monastère qui s’abaissent à l’horizon. »
La barque et le bateau rappellent la destinée de René, et la suite du roman. Le bateau se dirige vers l’horizon, vers une étendue de mer, vers un monde dont on ne sait rien, ce qui fait écho au caractère de René. Désabusé du monde, il se laisse porter par la vie, sans ambition et sans envie.
Le personnage à droite de la barque, par sa ressemblance vestimentaire, pourrait représenter René dans un futur proche. De la même manière, le bateau au fond du tableau, s’il peut être un navire quelconque, peut aussi évoquer la suite de l’histoire de René aux Amériques.

bâteau

René

« [...] je m’étais arrangé pour passer la dernière nuit à terre, afin d’écrire ma lettre d’adieux à Amélie. Vers minuit, tandis que je m’occupe de ce soin, et que je mouille mon papier de mes larmes, le bruit des vents vient frapper mon oreille. »
Le peintre a situé le personnage de René dans un espace clé du tableau, c’est-à-dire entre la mer tumultueuse qui représente ses états d’âmes, et la tranquillité du monastère. Assis sur un talus rocheux, il regarde en direction de sa sœur, dans une position de désespoir. Il attend une réponse qui ne viendra qu’après son départ pour l’Amérique.

René

La ville

« Je vole sur le rivage où tout était désert […] »
Au second plan, la ville semble paisible dans la nuit. Aucune lumière n’est allumée, rappelant au spectateur que la scène se déroule le soir. La ville est encerclée par l’église et la montagne en arrière-plan, l’enfermant complètement. La seule issue possible devient la mer que René doit prendre pour échapper à sa mélancolie.

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Théodor-Lancelot Turpin de Crissé

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© Musée d'Angers

Un enfant d'artistes

Lancelot-Théodore Turpin de Crissé (9 juillet 1782 - 15 mai 1859) est un peintre et collectionneur de la première moitié du XIXe siècle. Issu d’une famille noble ruinée à la Révolution française, il est très tôt sensibilisé à l’art par ses parents. Son père, Henri Roland Lancelot Turpin de Crissé, militaire de carrière, peintre amateur et membre de l’Académie des Beaux-Arts, lui transmet les rudiments de la peinture ainsi que son goût pour les paysages. Sa mère, Émilie de Montullé, miniaturiste, lui enseigne la précision du trait. Contraint en 1793 d’émigrer en Angleterre, le père de Turpin s’exile ensuite en Amérique, où il meurt quelque temps plus tard. Durant cette période, les miniatures de la mère de Turpin aident à subvenir aux besoins de la famille. 

Choiseul-Gouffier, mentor et protecteur du jeune artiste

À partir de 1802, Lancelot-Théodore Turpin de Crissé est pris en charge par son parrain, le comte Choiseul-Gouffier (1752-1817) qui lui commande des tableaux pour le racheter de la conscription, puis l'envoie étudier en Suisse et à Rome. Pendant quatre ans, le jeune homme parfait son apprentissage auprès du diplomate, écrivain et archéologue. Il se fait connaître en réalisant deux dessins que le comte inclut dans le deuxième volume de son célèbre Voyage pittoresque de la Grèce (publié en 1809). À son retour en France, Choiseul-Gouffier l’introduit auprès de la famille impériale.

Le Salon de 1806

C’est au Salon de 1806 que Lancelot-Théodore Turpin de Crissé expose pour la première fois. Il remporte une médaille d’or en tant que peintre de paysage et d’architecture. Il présente Les Adieux de René à sa sœur, peinture illustrant un épisode du roman René de François de Chateaubriand. Son style romantique plaît beaucoup et ses qualités techniques sont reconnues. La critique le compare au peintre Claude Joseph Vernet (1714-1789) réputé pour ses marines. : « […] Depuis l’inimitable Vernet, on n’avait pas fait aussi beau tableau en ce genre. » (F. Buisson, Le Pausanias français. État des arts du dessin en France à l’ouverture du XIXe siècle, Salon de 1806, Paris, 1808, p. 60.)

Un artiste voyageur

Turpin de Crissé effectue un premier voyage en Italie en 1807. En 1810, il est nommé chambellan de l’ex-impératrice Joséphine, poste qu’il occupe jusqu’au décès de cette dernière (1814). Durant ces quatre années de service, il l’accompagne dans ses voyages en Europe et réalise un grand nombre de dessins d’après nature. Il lui dédie un album suite à un séjour en Suisse et en Savoie.

À la mort de Joséphine, Turpin de Crissé poursuit ses voyages et sa carrière d’artiste. Sa peinture variée atteste d’une recherche autour de la lumière, notamment celle de l’Italie contemporaine où il se rend à plusieurs reprises entre 1818 et 1838. La péninsule constitue une grande source d’inspiration pour l’artiste qui développe son goût pour la nature sauvage et le pittoresque. Il présente ses œuvres dans plusieurs Salons, qui représentent principalement des sites antiques et des paysages. En 1828, il publie sous le titre de Souvenirs du golfe de Naples les études et dessins réalisés au cours de ses différents séjours. Fervent légitimiste, il dédicace l’album à la duchesse de Berry et à son fils le duc de Bordeaux.

Un artiste proche du pouvoir

Parallèlement à sa carrière d’artiste, Turpin de Crissé occupe plusieurs charges administratives en lien avec l’architecture et les beaux-arts. En 1816, il est nommé membre de la Commission des Beaux-Arts de la préfecture de la Seine, qui vient d’être créée. De 1824 à 1830, il occupe le poste d’inspecteur général des Beaux-Arts. En 1825, il reçoit la croix de la Légion d’honneur et en 1829 est nommé gentilhomme honoraire de la Chambre du roi.

Un artiste collectionneur

La monarchie de Juillet marque une rupture dans la carrière de Turpin de Crissé qui ne reconnaît pas ce nouveau régime. Il démissionne de toutes ses fonctions officielles pour se consacrer à l’art, voyager et agrandir sa collection. Après 1850, il se lance dans le commerce d’antiquités. Sa collection se compose de nombreux objets médiévaux, témoignant de l’attrait général du XIXe siècle pour cette période, mais aussi d’œuvres d’artistes contemporains tels que Ingres et Girodet avec qui il entretient des liens d’amitié.

Lancelot-Théodore Turpin de Crissé meurt en 1859 après avoir légué sa collection au musée d’Angers.

 

Extrait du roman René de François-René de Chateaubriand 

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Résumé de l'œuvre

Réfugié dans la tribu indienne des Natchez en Louisiane, René, un aristocrate français a été adopté par Chactas, un sage aveugle qui lui a désigné une épouse conformément aux mœurs indiennes. René passe ses journées isolées dans la nature à nourrir sa mélancolie. Au détour d’une conversation avec Chactas et le père Souël, un jésuite, René se lance dans une confession spontanée sur le récit de sa vie dans le but de justifier son attitude renfermée. Après le décès de son père quelques années auparavant, il décide de voyager à travers l’Europe. En proie à un profond dégoût de la vie, il pense à se suicider mais va être aidé par sa sœur Amélie. Cette dernière va alors peu à peu s’éprendre de son frère. Pour se libérer de cet amour incestueux, elle choisit de devenir religieuse C’est pendant la cérémonie de la prise de voile alors qu’elle se trouve couchée sous un voile et que son frère se penche vers elle qu’Amélie avoue son amour pour lui. Désespéré, René s’embarque pour les Etats-Unis où il apprendra dans une lettre qu’Amélie, torturée par le remords, est morte comme une sainte en soignant ses compagnes. Cette lettre est un des éléments déclencheurs de sa confession. À la fin du récit, on apprend que René, Chactas et le Père Souël sont morts peu de temps après le massacre des Français et des Natchez en Louisiane.

Citation

« Je ne sais ce que le ciel me réserve, et s’il a voulu m’avertir que les orages accompagneraient partout mes pas. L’ordre était donné pour le départ de la flotte ; déjà plusieurs vaisseaux avaient appareillé au baisser du soleil ; je m’étais arrangé pour passer la dernière nuit à terre, afin d’écrire ma lettre d’adieux à Amélie. Vers minuit, tandis que je m’occupe de ce soin, et que je mouille mon papier de mes larmes, le bruit des vents vient frapper mon oreille. J’écoute ; et au milieu de la tempête, je distingue les coups de canon d’alarme, mêlés au glas de la cloche monastique. Je vole sur le rivage où tout était désert, et où l’on n’entendait que le rugissement des flots. Je m’assieds sur un rocher. D’un côté s’étendent les vagues étincelantes, de l’autre les murs sombres du monastère se perdent confusément dans les cieux. Une petite lumière paraissait à la fenêtre grillée. Etait-ce toi, ô mon Amélie, qui prosternée au pied du crucifix, priait le Dieu des orages d’épargner ton malheureux frère ? La tempête sur les flots, le calme dans ta retraite ; des hommes brisés sur des écueils au pied de l’asile que rien ne peut troubler, l’infini de l’autre côté du mur d’une cellule, les fanaux agités des vaisseaux, le phare immobile du couvent ; l’incertitude des destinées du navigateur, la vestale connaissant dans un seul jour tous les jours futurs de sa vie ; d’une autre part, une âme telle que la tienne, ô Amélie, orageuse comme l’océan ; un naufrage plus affreux que celui du marinier : tout ce tableau est encore profondément gravé dans ma mémoire. Soleil de ce ciel nouveau maintenant témoin de mes larmes, écho du rivage américain qui répétez les accents de René, ce fut le lendemain de cette nuit terrible, qu’appuyé sur le gaillard de mon vaisseau, je vis s’éloigner pour jamais ma terre natale ! Je contemplai longtemps sur la côte les derniers balancements des arbres de la patrie, et les faîtes du monastère qui s’abaissaient à l’horizon. »